Peuples de la Mer
Tel est le nom que les Égyptiens donnaient à diverses populations venant "de la Mer et du Nord", dont ils nous ont conservé quelques noms.

Les premières mentions apparaissent dans la correspondance de Tell el-Amarna (v. Ikhetaton).
Il s'agit des Denyen, Rkw, Sherdn, qui font leur apparition en Syrie au cours des premières décennies du ~ xive siècle.Le fait que l'écriture égyptienne ne note que les consonnes pose le problème de leur prononciation réelle, mais on s'accorde généralement à voir dans les premiers des Danaouna, dans les seconds des Lukku (le L et le R étant confondus en égyptien) et des Shar-danes.
On a ainsi rapproché les Danaouna des Danaéens de la tradition grecque, mais on a localisé leur pays d'origine vers la Cilicie, puisqu'il est nommé dans les lettres avant Ugarit et Qadesh, eux-mêmes mentionnés dans cette région un peu plus tard dans les textes de Karatepe.
On connaît par les textes hittites un pays appelé Lukku, que l'on situe en Anatolie du Sud-Ouest, dans la Lycie de l'époque classique, de sorte que les Lukku seraient les ancêtres des Lyciens.
Quant aux Sherdn, qu'on retrouvera par la suite engagés comme mercenaires dans les armées des Rames-sides, on pense qu'ils sont à l'origine du peuplement de la Sardaigne au début de l'époque du Fer, et qu'ils auraient donné leur nom à cette île.
On a aussi tenté de lier leur nom à celui de Sardes, ce qui placerait leur origine en Anatolie occidentale, vers l'ancienne Lydie.
Lors de la bataille de Qadesh, datée du début du ~ xme siècle, Ramsès II a enrôlé dans les rangs égyptiens des Shardanes, tandis que le roi des Hittites a intégré dans son armée des gens désignés par les Égyptiens comme Peuples de la Mer : Pidasa (Pedasiens) qui seraient des habitants de Pedasos, au sud de la Troade, Iliouna (nom qu'on a rapproché d'Ilion, autre nom de Troie), Dardanu, peut-être des Darda-niens, eux aussi établis en Troade, Masa (Mysiens ou Méoniens, les prédécesseurs des Lydiens en Lydie), Kerkisha, gens de Gergis, toujours en Troade.
Ces identifications paraissent plausibles car il n'est pas invraisemblable de trouver des peuples originaires d'Asie Mineure dans l'armée hittite.
La troisième vague des Peuples de la Mer mentionnée dans les textes égyptiens n'apparaît plus constituée de marins ou de guerriers, inquiétants certes, mais non encore agressifs, ou de soldats anatoliens au service des Hittites.
Il s'agit bel et bien d'une troupe organisée marchant contre l'Egypte, en provenance de la Libye et de l'ouest du delta : ce sont les envahisseurs vaincus par Mineptah à la bataille de Per Irt en ~ 1227 (ou ~ 1233).
A côté des Lukku et des Shardanes apparaissent des peuples nouveaux : les Shekel ou Shakalash dont on a mis le nom en relation avec Sagalassos, une ville d'Asie Mineure, et les Sicules qui donneront leur nom à la Sicile ; les Tursha "de la Mer", peut-être à identifier aux Tyrsènes des textes classiques, qui ne sont autres que
les Étrusques, venus alors des côtes d'Asie Mineure ; les Aqiyawasa ("Ek-wesh - ou iq jws - du Pays de la Mer") sont à rapprocher des Ahhiyawas des textes hittites et des Achéens (Ak-haios qui à l'origine se prononçait Akhaiwos), bien que certains auteurs se refusent à une telle équation en s'ap-puyant sur des arguments en définitive peu convaincants.
Enfin, Ramsès III, au cours des premières décennies du ~ XIIe siècle, se heurta à plusieurs reprises à des invasions des Peuples de la Mer venus soit de Libye, soit de Palestine.
Ce sont les Shardanes, les Danaouna et les Shakalash, mais encore les Weshesh (Oua-shasha), peut-être originaires de Ouas-sos en Carie, les Thekkel (ou Zekker) et les Peleset ou Pilistou.
Ramsès remportera chaque fois la victoire sur ces envahisseurs et les dispersera.
Les textes égyptiens demeurent ensuite muets, sans doute parce que ces peuples ont disparu des régions voisines, à l'exception de deux d'entre eux, les Thekkel et les Peleset.
On a rapproché le nom des premiers des Teucri de la Troade et de Teucer, héros achéen qui aurait fondé Salamine de Chypre.
Après la dernière défaite infligée par Ramsès III en ~ 1186, ils demeurent dans les environs de Dor, sur la côte palestinienne, où on les retrouve vivant en particulier de la piraterie, dans un conte égyptien qui rapporte l'histoire d'un fonctionnaire, Wenamon, envoyé à Byblos chercher du bois aux alentours de l'an ~ 1000.
Les Peleset - tous les spécialistes, pour une fois, sont d'accord - sont les Philistins bien connus par les textes bibliques.
A la suite de leur défaite, Ramsès III les installa sur la côte palestinienne où ils fondèrent la penta-pole philistine : Gaza, Ascalon, Ash-dod, Ekron et Gath.
Ces deux dernières cités n'ont pas encore été identifiées.
Une tradition rapportée dans l'Ancien Testament par Amos (IX,7) et Jérémie (XLVII.4) les fait venir ou passer par Kaphtor qui n'est autre que la Kaptara des textes akkadiens, c'est-à-dire la Crète.
Il est d'ailleurs remarquable que le disque de Phaistos présente parmi les pictogrammes une tête couronnée de plumes qui évoque la coiffure des Peleset et divers autres Peuples de la Mer dans les représentations figurées du temple de Médinet-Habou.
Si les Philistins se sont rapidement "sémitisés", adoptant des patronymes et des divinités cananéens, il semblerait que leur langue, qu'on ne connaît guère, soit d'origine anatolienne.
Alors que les Hébreux, après leur invasion de la Palestine, vécurent en paix avec les Cananéens ou les assimilèrent, ils trouvèrent dans les Philistins des adversaires décidés qui leur disputèrent des terres où les deux peuples faisaient figure d'envahisseurs.
La Bible a conservé le souvenir de cette lutte, connue par des épisodes comme ceux de Samson et Dalila, du duel de David et Goliath, de la bataille au cours de laquelle Saiil et son fils perdirent la vie.
David, au ~ Xe siècle, les vainquit à plusieurs reprises après avoir été leur allié, puis, après le règne de Salomon, dès la fin du ~ Xe siècle, leur pouvoir décline et ils disparaissent bientôt de la scène politique.
Le caractère matériel de la "civilisation" des Peuples de la Mer et des Philistins restent indiscernables.
En fait, bien qu'ils apparaissent dans les textes à plusieurs reprises pendant deux siècles, au cours desquels une partie d'entre eux semble être demeurée en Palestine, on ne trouve aucun mobilier qui leur soit propre.
A moins d'admettre qu'il se soit agi en fait de Mycéniens au sens le plus large de ce terme, auquel cas on pourrait mettre à leur actif une grande partie de la céramique mycénienne si répandue dans les sites côtiers du Proche-Orient à partir du ~ xive siècle.On attribue aussi aux Philistins une céramique, dite justement philistine et si voisine de celle de PHelladique récent III C, que certains auteurs n'ont voulu y voir qu'une variante provinciale de ce style de poterie.
En réalité, la céramique philistine, si elle reprend les formes et
les motifs de celle du Mycénien III C, a une préférence marquée pour la représentation de l'oiseau, rare dans la céramique proprement mycénienne, et elle utilise deux teintes, le rouge et le noir, emprunt à la tradition locale.
Plus qu'aux seuls Philistins, c'est sans doute aux Peuples de la Mer installés dans cette région, et en particulier aux Thekker, qu'on doit attribuer cette poterie qui, par la suite, a pu être plus particulièrement utilisée par les Philistins.
Sa chronologie diffère selon les auteurs. Trude Dothan discerne trois phases:
  • A (~ 1180/- 1120)
  • B (~ 1120/- 1050)
  • C (~ 1050/ ~ 1000).

A partir d'une étude serrée des tombes dites "philistines" de Tell el-Farah, Thomas McClellan conclut que ces poteries n'apparaissent qu'après ~ 1140.
Elles deviennent communes dans la période 2 de Tell el-Farah, après ~ 1085, et on continue encore d'en façonner au ~ Xe siècle.après la fin de la période 2 de la cité.
Il convient de rappeler pour mémoire la thèse d'Alessandra Nibbi, selon qui les Peuples de la Mer ne viendraient pas des régions nord-méditerranéennes, mais seraient des tribus du delta du Nil que les Égyptiens n'auraient jamais réellement dominées.
Cette hypothèse semble aussi invraisemblable que celle de Jurgen Spanuth qui, au contraire, voit dans ces peuples des Proto-Germains émigrés depuis le sud du Danemark et l'île d'Heligoland.

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